Chapitre Saint Martin

Dieu n’est pas libre

Par un chanoine régulier de la Mère de Dieu
Si Dieu était libre, nous serions des saints, des saintes. C’est parce que Dieu n’est pas libre de réaliser en nous ce qu’il veut, à savoir la sainteté, que nous ne sommes pas des saints. Cherchez une âme en qui tout est offert à l’action de Dieu en elle, une âme qui ne soit pas propriétaire de ses vertus ni de ses prières, une âme qui accepte la sainteté que Dieu veut pour elle, toujours différente de cette sainteté à laquelle on pense pour soi, cherchez cette âme, et vous trouverez... Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus... C’est pas mal, non ?
Il n’est qu’un obstacle à notre sainteté personnelle, c’est nous-mêmes.
Non, allez vous me dire ; il est d’autres obstacles, bien plus redoutables : le monde et ses tentations -surtout le monde actuel !-, et le diable, cet adversaire implacable de nos âmes. Je vous réponds avec Jésus : « mes petits-enfants, j’ai vaincu le monde ». Voilà pour le monde ! Etre avec le Christ, c’est remporter la victoire sur le monde. Les tentations ? Elles ne peuvent faire du mal qu’aux imprudents et à ceux qui s’y complaisent. Pour ceux qui y résistent, elles sont un tremplin vers la sainteté. Si Dieu permet la tentation, c’est toujours pour notre bien, pour que nous puissions lui prouver notre amour, notre choix libre et généreux de le suivre malgré les chemins délicieux qui veulent nous détourner de lui. Le diable ? Il ne peut rien faire sans la permission de Dieu. Toute l’histoire des saints nous le montre fou de colère et impuissant face à une âme qui prie. Un bon théologien parlait de « l’exorcisme de la vie sainte », pour nous faire comprendre que celui ou celle qui mène seulement une vie chrétienne (de prière, de pratique des sacrements) chasse, par le fait même, toute influence maléfique de sa vie.
Non, le principal obstacle est en nous-mêmes. Il est nous-mêmes. D’ailleurs, nous le savons bien, le monde et ses tentations, le diable et ses sollicitations, n’ont d’efficacité que si nous y consentons. La question est donc comment rendre Dieu libre en nos âmes ? Il faut pratiquer l’abandon à l’imitation de la sainte de Lisieux.
Une âme qui se met à la prière avec régularité et qui, parce qu’elle trouve cela amère ou sans goût, arrête là sa belle pratique, n’est pas une âme abandonnée. Elle ne permet pas à Dieu d’être libre en elle et de la faire grandir dans la sainteté. Pourquoi n’est-elle pas une âme abandonnée ? Parce qu’elle se fait une certaine idée de la prière et qu’elle exige, plus ou moins consciemment, que Dieu réponde à cette idée. Cette âme est un peu semblable à un enfant capricieux qui refuse de suivre sa mère où elle veut l’emmener tant que celle-ci ne lui aura pas dit où elle l’emmène. Sa mère voulait lui faire une belle surprise qui l’aurait enchanté, et le voilà privé, par sa faute à lui. Combien de fois nous commettons cette faute avec Dieu ! Combien de fois nous empêchons Dieu d’agir en nous et de nous transformer ! Vous sentez, à la faveur de l’exemple pris, que l’abandon se fonde sur la confiance : si le petit enfant capricieux ne veut pas suivre sa mère, c’est qu’il n’a pas confiance que l’endroit où elle veut l’emmener lui plaira certainement.
Autre application de l’abandon : nos bonnes actions. Nous en sommes terriblement propriétaires. Le signe infaillible de cela est le découragement qui survient lorsque, malgré tous nos efforts et toutes nos peines, nous n’atteignons pas le résultat escompté. A l’inverse, si nous atteignons notre but, l’orgueil et la vanité ne sont pas très loin. Une âme abandonnée est une âme qui ne saurait céder ni au découragement ni à la tentation de l’orgueil, parce qu’elle sait que le premier maître d’œuvre de toutes ses entreprises est Dieu ; dès lors, si l’entreprise échoue apparemment -car, ce n’est qu’une apparence. Comment Dieu, le Père Tout-Puissant, pourrait-il échouer ?-, si donc l’entreprise échoue apparemment, c’est que Dieu veut autre chose, ou qu’il veut se servir de cette échec accueilli surnaturellement par une âme pour consommer sa victoire. Vous voulez un exemple irréfutable ? La mort de Jésus sur la Croix. C’est, aux yeux humains, l’échec le plus lamentable. Nous savons par la foi que c’est la victoire suprême sur la mort et le péché. Seulement, pour obtenir cette victoire, il a fallu l’âme très abandonnée de Jésus. « Mon Père, disait-il, je remets mon âme entre vos mains ».
Remettre son âme entre les mains de Dieu, cela ne signifie pas seulement confier à Dieu sa mort, cela veut dire surtout Lui remettre chacune de nos actions, chacun de nos désirs, chacun de nos espoirs, les fautes du passé - comme nous embarrassons Dieu souvent en remuant notre passé d’une façon dépitée et inquiète !- et tout notre avenir. Essayez ! Jetez-vous dans cette voie de l’abandon ! Renouvelez, dans votre cœur, ce choix, cette volonté, cet amour de la dépendance à l’égard de Dieu. Je sais que vous ne voulez pas exclure Dieu d’aucune de vos actions. Désormais, cherchez à l’associer positivement à chacune d’elles.
lors, vous deviendrez libres, libres de cette liberté même dont Dieu jouira en votre âme. Vous lui avez fait le cadeau de vous-mêmes ? Il faut fera le cadeau de lui-même. Où donc aller chercher la liberté ailleurs qu’en Dieu ?