Chapitre Saint Martin

Sermon du Père Augustin au pélerinage au Mont Saint Michel

“Estote ergo vos perfecti, sicut Pater Caelestis perfectus est” (Mt,V,48). “Soyez parfaits comme votre Père du Ciel est parfait”. La parole infaillible du Maître ne nous est pas donnée sous forme de conseil. Elle est impérative. Elle claque comme un précepte : Soyez parfaits. Il faut toute la tiédeur et la pusillanimité - c’est-à-dire l’orgueil - de notre temps, pour réduire ce commandement du Sauveur à un je ne sais quel “je fais ce que je peux”.

Non ! Le Christ n’est pas venu sur terre pour nous laisser le soin de nous tracer à nous-mêmes les limites d’une sainteté dont nous nous sentirions capables !Il est précisément venu faire exploser ces limites, et nous soulever au niveau-même de sa sainteté à Lui. Nous ne serons pas saints parce que nous le pouvons, mais parce que Dieu le peut ! Dieu peut faire de nous, de chacun de nous, un astre de sainteté. Et non seulement il le peut, mais il le veut : “Soyez parfaits” nous dit-il. Dieu peut-il nous commander ce que nous ne saurions atteindre ?

Le premier obstacle que nous opposons à Dieu en son universel dessein de sanctification est donc un manque de foi. Nous ne croyons pas assez à sa parole, ni à sa Toute-Puissance pour la réaliser. Car, tout ce que Dieu dit, il le fait. Nous tournant vers la désolante, et dérisoire, et soi-disant expérience de nos pauvretés, c’est-à-dire centrés sur nous-mêmes, nous perdons ce clair regard de la Foi tendu vers Dieu, et, avec Lui, cette assurance que de nos misères-mêmes, Dieu fera le Royaume des Cieux, pourvu que ne nous y résignant jamais, nous consentions à entamer et à poursuivre, à la suite du Christ, cette étonnante ascension vers la sainteté.

Et tel est le second obstacle que nous opposons à Dieu : la route que nous montre le Christ nous étonne, nous surprend, et, bientôt déçus, nous nous en détournons. Le chemin tracé par le Christ n’est pas un chemin plaisant à la nature.

“Qui vult post me venire, abneget semetipsum, tollat crucem suam quotidie, et sequatur me”(Lc,IX,23). “Celui qui veut venir à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive”. Déconcertée par ce chemin d’appauvrissement et de dénuement, effrayée par cette Croix qu’il lui faut porter chaque jour, la nature gémit, se lamente, et ne tarde pas à laisser la prometteuse ascension pour un chemin de traverse aux joies qui, pour légitimes qu’elles soient, n’en sont pas moins fragiles et éphémères. Telles sont peut-être, mes frères, les raisons les plus profondes de ce retard, de ces lenteurs de nos âmes dans l’ascension vers la sainteté, et de cette nostalgie des cimes pour lesquelles elles ont été créées.

Telles sont aussi les causes les plus cachées, et les plus réelles, de cet enlisement de notre monde actuel. Notre monde n’a besoin que de saints ! Et si notre belle, et nécessaire action, paraît aujourd’hui trop peu fructueuse encore, n’accusons pas d’abord l’insuffisance de nos moyens, encore moins celle de ceux qui, avec nous, travaillent à la restauration d’une civilisation vraiment chrétienne, mais sachons reconnaître l’insuffisance de notre vie chrétienne.

Dieu ne s’intéresse pas aux conférences internationales d’où il est a priori et par principe exclu. Dieu se penche vers les âmes des grands et des petits de la terre, dont le désir le plus profond, et l’activité première, tiennent en cette demande : “Fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra” “Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel”.

Alors, Dieu se penche, alors Dieu se donne à ces âmes, la vôtre, la mienne, si nous le voulons bien. Il les sait dociles, Il les sent souples entre ses mains. Il pourra opérer de grandes choses à travers elles. Et Dieu saisit le noble François de Sales, il le pénètre, lui donne Sa Sainteté ; et dans un pays protestant où tout un chacun disait, du haut de sa sagesse humaine, “Il n’a pas plus rien à faire”, il ne faudra que 3 années à notre saint pour restituer à l’Eglise les quelques 20.000 égarés du Chablais. Et Dieu saisit l’obscur curé d’Ars, sans talent, sans noblesse. Et là où tous ses prédécesseurs disaient, forts d’une expérience qu’ils jugeaient infaillible : “Il n’y a plus rien à faire”, l’abbé Vianney, parce qu’il était un saint, tout pénétré de la sainteté de Dieu, transformera sa paroisse, et nombreuses seront les foules courant à ses conseils.

Pourquoi ? Parce que, quand il n’y a plus rien à faire, il reste encore une chose à faire : devenir un saint ; et les saints réussissent où tous les autres échouent. Mais, à peine nous sommes-nous convaincus de cette nécessité d’être des saints, qu’une voix désolée interroge en notre âme : mais, comment devenir un saint ?

Les écoles de spiritualité sont si nombreuses ! Les embûches, les traverses sont dans la vie spirituelle, si raffinées ! Quelle voie suivre ? A quel saint se vouer ?

Depuis maintenant 2 siècles, nous avons la réponse. Elle nous est venue du Ciel en sa désarmante simplicité. Après la rue du Bac, la Salette, Lourdes, Pontmain, Fatima témoignent que la voie qui doit maintenant être la nôtre est Celle de Marie. Cela peut-il vous étonner, vous très particulièrement ? Au Cardinal primat d’Espagne, à l’occasion du Congrès Marial de Séville en 1929, Pie XI déclarait : “En notre temps en particulier, c’est de Marie seule que le peuple chrétien doit attendre le salut”.Ne nous l’avait-elle pas annoncé elle-même, à Fatima ? les 2 derniers recours pour le monde seront le Très-Saint-Rosaire et la dévotion à son Cœur-Immaculé. S’ils sont les derniers, faut-il en attendre d’autres ? Depuis 2 siècles, la voix de Rome n’a pas cessé de confirmer la nécessité de recourir à Marie.

Ecoutons St Pie X (ad diem illum) évoquer le rôle éminent de Marie dans la sanctification des âmes : “Qui ne tient pour établi qu’il n’est route ni plus sûre, ni plus rapide que Marie pour unir les hommes à Jésus-Christ, pour obtenir par Jésus cette parfaite adoption de Fils qui nous rend saints et sans tache devant Dieu ?... Personne au monde n’a, comme elle, connu Jésus ; personne n’est meilleur maître et meilleur guide pour faire connaître Jésus. Il suit de là, conclut le St Pontife, que personne ne la vaut non plus, pour unir les hommes à Jésus”. Pourquoi chercher encore ? Pourquoi attendre je ne sais quelle nouveauté spirituelle qui, par ce seul aspect de “nouveauté”, devrait à jamais détourner notre âme d’une telle attente ?

Se dévouer à Marie, se consacrer à Elle, se livrer à Elle en tout ce que nous sommes et voulons, et désirons, et aimons, pour mieux atteindre Jésus, l’Unique Médiateur entre Dieu et les hommes, telle est la bonne nouvelle, tel est l’Evangile en un magnifique raccourci. Telle est enfin la voie de sanctification, et donc de sainteté, que le Ciel donne très particulièrement à notre temps. Ce n’est pas un pis-aller, c’est une élévation ! Car, par la Consécration de notre être à Jésus par Marie, la Mère de Dieu elle-même prend en main notre sanctification, selon ses vues à Elle qui sont les vues de Dieu, selon son pouvoir à Elle qui, dans l’ordre de la grâce, touche à la Toute-Puissance.

Qu’il nous suffise alors de ratifier au quotidien cet acte de notre Consécration, répétant à l’envi que nous voulons tout accomplir par Elle, pour Elle, avec Elle et en Elle, dans la confiance invincible qu’Elle continuera en nous sa très parfaite Consécration à Dieu, sans laquelle nous en serions encore, comme sous l’Ancienne Loi, à espérer le salut. Telle est peut-être la réalité la plus riche de notre Consécration Mariale. Par elle, la Vierge Marie continue en nous sa Consécration à Dieu. Or, le plus beau fruit de la très parfaite Consécration de Marie à Dieu n’est rien moins que le Christ, et donc le salut du genre humain. Par notre Consécration Mariale, nous devenons donc, à notre tour, instruments de salut. Et, tandis que la Mère de Dieu agit en nos âmes pour y porter ses plus beaux fruits de sainteté, elle agit aussi par nos âmes pour étendre ou restaurer le Royaume de Dieu, dans nos familles, nos cités, à travers nos obligations quotidiennes.

D’ailleurs, comment envisager, dans l’Unique Eglise du Christ, une sainteté personnelle qui ne soit à l’avantage de tout le Corps Mystique ? Le secret de sainteté des âmes et de restauration sociale dans le Christ est donc là, dans cette Consécration totale de nous-mêmes au Cœur-Immaculé de Marie. Il est là, à portée de la main, tout entier retenu dans ce petit livre de 100 pages dont votre fondateur, d’heureuse - sinon de sainte - mémoire, aimait à dire qu’il constitue depuis 2 siècles, la bombe du Catholicisme, savoir : Le Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge. Si l’Amour de Dieu nous a donné un tel secret, comment pourrions-nous le taire ? “Caritas Christi urget nos” (2 Co. V,14). La Charité du Christ nous presse, disait déjà l’Apôtre. Et si, aujourd’hui, nous ne brûlons pas d’amour, d’autres, demain, mourront sûrement de froid.

« Totus tuus ». Tout à vous, Ô Marie. Quelle est belle cette devise de notre saint Père le Pape ! Quelle est juste cette formule empruntée au saint propagateur de la consécration mariale ! Si nous la vivons sans restriction aucune ici bas, alors, bientôt, au Ciel, c’est avec le regard de Marie que nous contemplerons Dieu, et c’est avec son Cœur que nous pourrons L’aimer.

Ainsi-soit-il.